La distribution de dividendes demeure un enjeu majeur de gouvernance et de stratégie financière. Entre cadre légal strict, subtilités comptables et jurisprudence récente, il est essentiel de comprendre les conditions de distribution et les risques encourus. Focus sur les règles clés de la distribution de dividendes et les précautions à prendre pour éviter toute irrégularité dans leur versement, à la lumière de la décision de la cour de Cassation du 12 février 2025 (n° 23-11.410).
1. Qu’est-ce qu’un dividende ?
Le dividende est la part du bénéfice distribuable attribuée aux associés ou actionnaires après approbation des comptes annuels (art. L. 232-11 et L. 232-12 du code de commerce).
Il se calcule à partir du résultat de l’exercice, augmenté du report à nouveau bénéficiaire et diminué des pertes antérieures et des dotations aux réserves légales ou statutaires.
Il constitue donc la rémunération du risque pris par les associés, mais ne peut être versé qu’à partir de sommes réellement distribuables. Toute distribution en dehors de ce cadre est susceptible d’être qualifiée de dividende fictif, avec les conséquences civiles et pénales que cela implique.
2. Quand et comment le dividende peut-il être distribué ?
Le principe est simple : seule l’assemblée générale ordinaire annuelle (AGOA), après approbation des comptes, peut décider de la distribution d’un dividende. Le conseil d’administration, le directoire ou les gérants ne peuvent pas en fixer le montant. Ils peuvent seulement, sur habilitation expresse, réduire le dividende si la trésorerie ne le permet pas, dans la fourchette décidée par l’assemblée.
La distribution peut prendre plusieurs formes : en numéraire, la plus courante, ou en nature, par remise de biens ou de titres, si cette option est prévue par les statuts ou décidée par l’assemblée.
Le droit au dividende revient à celui qui est associé au jour de la décision de distribution. En cas de cession de parts avant cette date, c’est le cessionnaire qui en bénéficie.
3. Le cas du report à nouveau et des réserves
Le report à nouveau est un mécanisme comptable permettant de différer une décision d’affectation du résultat. Il ne s’agit pas d’une réserve, mais d’un solde d’attente en vue d’une affectation ultérieure.
Le report à nouveau est un résultat mis en attente, qui pourra être distribué ou affecté lors de l’assemblée appelée à statuer sur les comptes de l’exercice suivant.
La cour de Cassation, dans son arrêt du 12 février 2025, a mis fin à une pratique : le report bénéficiaire d’un exercice est inclus dans le bénéfice distribuable de l’exercice suivant ; seule l’assemblée approuvant les comptes de cet exercice peut en décider la distribution. Ainsi, toute distribution prélevée sur le report à nouveau entre deux assemblées d’approbation des comptes est nulle. Les réserves disponibles, en revanche, constituent des bénéfices déjà affectés et peuvent faire l’objet d’une distribution exceptionnelle à tout moment, sous réserve du respect de l’article L. 232-11 du code de commerce (capitaux propres supérieurs au capital et aux réserves indisponibles).
4. L’acompte sur dividende : un versement anticipé encadré
L’article L. 232-12 du code de commerce autorise le versement d’acomptes sur dividendes, mais sous conditions très strictes : un bilan intermédiaire certifié par un commissaire aux comptes et un bénéfice distribuable réalisé depuis la clôture de l’exercice précédent.
Ce bénéfice doit être calculé après la prise en compte des amortissements, provisions, pertes antérieures, réserves obligatoires et du report bénéficiaire.
Le montant total des acomptes ne peut en aucun cas dépasser ce bénéfice net,
Ce dispositif ne peut être mis en œuvre que si un bénéfice est effectivement constaté. Le non-respect de ces conditions transforme immédiatement l’acompte en dividende fictif, obligeant les bénéficiaires à le restituer s’ils en connaissaient le caractère irrégulier.
5. Les risques liés à la distribution du dividende
Dividendes fictifs :
Une distribution irrégulière n’est pas sans conséquence.
Est qualifié de dividende fictif tout versement effectué en méconnaissance des règles légales encadrant la distribution (notamment article L232-12 du code de commerce).
Autrement dit, constitue un dividende fictif toute somme versée aux associés sans approbation régulière des comptes, sans bénéfice distribuable réellement constaté, ou en dehors des conditions prévues pour l’acompte sur dividende.
En pratique, cela vise les distributions prélevées sur des sommes indisponibles (capital, réserves légales, pertes non apurées) ou sur un bénéfice non encore approuvé ou inexistant.
Une telle distribution est illicite, peut être annulée et engage la responsabilité civile et pénale des dirigeants.
Sur le plan civil, les dirigeants engagent leur responsabilité en cas de préjudice causé à la société ou aux associés.
Sur le plan pénal, les sanctions prévues par les articles L 241-3 et L 242-6 du code de commerce peuvent atteindre cinq ans d’emprisonnement et 375 000 € d’amende.
Restitution des dividendes indûment perçus :
Lorsqu’un dividende est versé sans bénéfice réellement acquis, la société peut en demander la restitution.
Pour les SARL (art. L. 223-40 C. com.), cette répétition peut être exigée de tout associé ayant perçu un dividende fictif.
Pour les sociétés par actions, la répétition n’est possible que si la distribution est irrégulière et que les bénéficiaires en avaient connaissance (art. L. 232-17 du code de commerce).
L’action se prescrit par trois ans à compter de la distribution et s’éteint lorsque les dirigeants ont eux-mêmes couvert la somme indûment versée.
La distribution de dividendes doit ainsi concilier intérêt des associés et respect des règles comptables et juridiques.
Une approche rigoureuse des résultats et une documentation claire demeurent essentielles pour éviter tout risque de requalification.
Le cabinet Odrius accompagne les sociétés dans la sécurisation et la structuration de leurs politiques de distribution.
