Le cumul d’un mandat social et d’un contrat de travail reste admis en droit français, mais il n’est validé qu’à des conditions strictes et appréciées au cas par cas. En 2024, la cour de Cassation (Cass. soc., 27 nov. 2024, n° 23-10.389) a réaffirmé que la subordination doit être réelle et démontrée, et que le réalisme des faits prévaut sur les libellés contractuels.
1. Le principe du cumul : une possibilité encadrée par la jurisprudence
Le cumul d’un mandat social et d’un contrat de travail permet à un dirigeant d’exercer, en parallèle de son mandat, des fonctions salariées ouvrant droit aux garanties du code du travail. Mais la jurisprudence en restreint l’application : la cour de Cassation exige trois conditions cumulatives, aujourd’hui classiques :
- Des fonctions techniques distinctes du mandat social ;
- Une rémunération propre à ces fonctions salariées ;
- Un lien de subordination effectif vis-à-vis d’un organe supérieur de la société.
Ces critères sont issus d’une construction prétorienne constante, dont l’un des piliers demeure la définition du lien de subordination posée dans l’arrêt Société Générale (Cass. soc., 13 nov. 1996, n° 94-13.187).
2. L’arrêt du 27 novembre 2024 : une subordination purement théorique écartée
Dans son arrêt publié au bulletin du 27 novembre 2024 (n° 23-10.389 F-B), la cour de Cassation a rappelé que la seule mention d’un pouvoir hiérarchique dans un contrat ne suffit pas à établir une véritable subordination. Le dirigeant concerné, lié par un board agreement à une société mère étrangère, invoquait une clause l’obligeant à se conformer aux directives du groupe. Les juges ont rejeté sa demande en retenant qu’il conservait le contrôle effectif de ses fonctions et décidait des modalités d’exécution de ses missions.
La subordination doit donc être réelle, concrète et démontrée par des éléments factuels : reporting, objectifs imposés, contrôle hiérarchique ou pouvoir disciplinaire. Cet arrêt, s’inscrit dans la continuité d’une jurisprudence exigeante et confirme la tendance à privilégier le réalisme des faits sur le formalisme contractuel.
3. Les trois conditions du cumul : une appréciation toujours factuelle
a) Des fonctions distinctes
Le contrat de travail doit correspondre à des missions techniques autonomes – commerciales, informatiques, opérationnelles – étrangères à la direction générale. Ainsi, la cour de Cassation a reconnu la validité du cumul lorsque le contrat de travail, antérieur au mandat social, portait sur des fonctions techniques distinctes et exercées dans un lien de subordination effectif (par exemple Cass. soc., 29 janv. 2002, n° 99-43.228).
b) Une rémunération propre
La rémunération salariale doit être indépendante de celle attachée au mandat. Une rémunération globale et non ventilée empêche toute distinction claire. La rémunération due au titre du contrat de travail doit être distincte ou, à tout le moins, clairement identifiable par rapport à celle attachée au mandat social. La dualité des rémunérations n’est ni nécessaire ni suffisante pour caractériser le cumul ; inversement, une rémunération unique n’exclut le cumul que si elle rémunère en réalité le mandat. Une disproportion entre la rémunération et les fonctions salariées alléguées est un indice défavorable.
c) Un lien de subordination effectif
C’est la condition la plus déterminante.
Le lien de subordination s’apprécie in concreto, à partir des conditions réelles d’exercice des fonctions : existence d’un supérieur hiérarchique, contrôle de l’activité, pouvoir de sanction.
Dans son arrêt du 27 novembre 2024 (Cass. soc., n° 23-10.389), la cour de Cassation a écarté le cumul d’un contrat de travail et d’un mandat social, le dirigeant conservant la maîtrise complète de ses fonctions malgré une clause de subordination formelle.
Cette décision illustre que la subordination ne se déduit pas des statuts ou des contrats, mais de la réalité des faits.
La preuve du lien de subordination repose sur la démonstration d’un pouvoir de direction et de contrôle effectif.
d) Cas des SARL, SAS et SA où le cumul est rarement admis
En pratique, certains cas excluent la possibilité du cumul contrat de travail/mandat social :
SARL : pour un gérant majoritaire, la subordination est le plus souvent introuvable : la concentration des pouvoirs rend très difficile la preuve d’un supérieur hiérarchique effectif. Les textes Lamy soulignent que la nature même des pouvoirs du gérant majoritaire fait douter du cumul, sauf organisation interne exceptionnelle. (Lamy « Pluralité des conditions du cumul », p. 3/6 ; rappels généraux).
SAS / SASU : le président de SAS ne peut être salarié que s’il agit sous l’autorité effective d’un organe supérieur (conseil, société mère par exemple), avec contrôle et pouvoir de sanction. À l’inverse, lorsque le dirigeant conserve une autonomie décisionnelle, le cumul est écarté : la cour de Cassation l’a rappelé dans l’arrêt de 2024. En SASU avec président associé unique, la subordination est pratiquement impossible en l’absence d’organe de contrôle réel extérieur.
SA : pour les organes monistes (SA à conseil d’administration), la situation varie : le directeur général (ou DGD) peut cumuler lorsque ses fonctions salariées sont distinctes et réellement contrôlées par le conseil d’administration. En revanche, les administrateurs — a fortiori le président du conseil d’administration investi de la direction — se heurtent classiquement à l’absence de subordination ; plusieurs décisions rappellent l’impossibilité/illégalité de tels cumuls (Cass. soc., 18 mai 2005, nº 03-41.799).
4. Groupes de sociétés
Dans les groupes, le cumul d’un mandat social et d’un contrat de travail reste possible lorsque la société du groupe qui emploie le dirigeant dispose d’un pouvoir hiérarchique effectif sur lui.
La simple appartenance capitalistique ou un lien fonctionnel ne suffisent pas : la subordination doit être juridiquement démontrée, par un contrôle concret et un pouvoir de sanction.
L’arrêt du 27 novembre 2024 illustre cette exigence : la Cour de cassation a refusé le cumul, la société mère n’exerçant qu’une supervision stratégique sur la filiale.
Seule une autorité hiérarchique réelle permet de reconnaître la qualité de salarié au sein d’un groupe.
5. Contrat irrégulier pendant le mandat social
Lorsqu’un contrat de travail est conclu pendant l’exercice d’un mandat social, il est en principe irrégulier, faute de subordination possible entre le dirigeant et la société.
Toutefois, à la cessation du mandat, cette impossibilité disparaît : le dirigeant peut signer un nouveau contrat ou régulariser le précédent, à condition qu’il n’y ait ni fraude ni détournement.
Ce contrat peut prévoir une clause de reprise d’ancienneté, couvrant la période du mandat, assurant ainsi la continuité de la relation de travail sans rétroactivité illicite.
Cette solution, admise par la doctrine, permet de sécuriser le statut du dirigeant tout en respectant la logique de subordination exigée par la jurisprudence.
Conclusion
Le cumul d’un mandat social et d’un contrat de travail demeure une question éminemment factuelle, où chaque situation doit être appréciée à la lumière de la jurisprudence récente. Qu’il s’agisse d’un dirigeant de SARL, d’une SAS ou d’un groupe de sociétés, les frontières entre pouvoir de direction et lien de subordination restent mouvantes. Le cabinet Odrius Avocats accompagne dirigeants et entreprises dans la sécurisation de leur statut, la rédaction de leurs contrats et la défense de leurs intérêts en cas de contentieux liés au cumul ou à la requalification du mandat social.
